«Il est nécessaire de plus collaborer avec l'UE sur le plan sécuritaire»
La politique de sécurité, de plus en plus complexe, demande à être renforcée. Le SEPOS s'engage dans ce sens. Le secrétaire d'Etat Markus Mäder s'explique sur ce sujet dans une interview avec le journal Le Temps.
26.06.2024 | Interview: Le Temps, Philippe Boeglin
La Suisse ressort tout juste du sommet du Bürgenstock sur la paix en Ukraine, la plus grande conférence internationale qu’elle a organisée depuis longtemps. Quel bilan en tirez-vous?
Markus Mäder: La conférence relevait avant tout de la politique internationale, mais notre Secrétariat d’Etat à la politique de sécurité a apporté son soutien. Nos collègues du Département des affaires étrangères ont accompli un travail remarquable. Ce fut une réussite, sachant que l’on ne pouvait pas signer la paix au Bürgenstock, la Russie en étant absente. Mais les objectifs de la conférence ont été atteints. Nous avions choisi trois thèmes (sécurité nucléaire, sécurité alimentaire, dimension humanitaire avec prisonniers et enfants déportés) qui pouvaient rassembler. Nous avons également mis en place un dispositif efficace en cybersécurité et protégé la conférence des grosses perturbations. Le réseau suisse de sécurité, qui réunit notamment polices et armée, fonctionne bien, et c’est réjouissant.
L’effort de la Suisse a été salué. Mais les Etats BRICS présents et réputés proches de la Russie (Brésil, Inde, Afrique du Sud) n’ont pas signé le communiqué final. Cela ressemble à un échec…
On peut voir le verre à moitié plein ou le verre à moitié vide. Je préfère voir le verre à moitié plein. Nous savions que certains pays étaient critiques sur certains passages, mais de nombreux pays ont paraphé le communiqué final, dont certains du Sud global. Le communiqué final est d’ailleurs ouvert aux Etats qui n’ont pas encore signé et qui souhaiteraient le faire.
Le Conseil fédéral veut se rapprocher de l’OTAN. N’est-ce pas la fin de la neutralité?
Nous appliquons le droit de la neutralité. Et notre coopération avec l’OTAN n’est pas nouvelle, puisque nous participons au Partenariat pour la paix depuis environ trente ans. Nous désirons à présent approfondir cette relation, mais le cadre institutionnel, donc bien évidemment celui concernant la neutralité, demeure le même.
La neutralité interdit de faire partie d’une alliance militaire…
Il n’est pas question d’adhérer à l’OTAN. Nous respectons les lignes rouges: ne pas s’impliquer dans un conflit international, ne pas fournir de soutien militaire et ne pas mettre notre territoire à disposition d’un belligérant ou d’un camp. Aujourd’hui, certains parlent de rapprochement avec l’OTAN, mais ce terme n’est pas approprié, car nous ne faisons que chercher à développer la collaboration existante pour renforcer nos capacités de défense.
L’OTAN, cela veut aussi dire acheter beaucoup de matériel militaire américain. Or, les Etats-Unis ne nous livreront pas en temps voulu les missiles PAC3 du système de défense sol-air Patriot: ils donnent la priorité à l’Ukraine…
Cette question et celle de l’OTAN n’ont rien à voir, car il s’agit ici d’un achat bilatéral. L’Ukraine a la priorité, et tous les autres pays doivent patienter pour leurs commandes de matériel américain, les partenaires de l’OTAN y compris, comme l’Espagne et la Bulgarie. En outre, n’oublions pas que le paquet commandé à l’origine, avec le système Patriot et les missiles PAC2, ne souffre, lui, pas de retard.
Doit-on se préparer à une série de retards, touchant aussi d’autres équipements américains que nous avons choisis, par exemple l’avion de chasse F-35A?
La situation va rester volatile en raison de la guerre. Mais, à mon avis, ce sont surtout les armes destinées à la défense sol-air qui sont concernées, car ce sont celles dont l’Ukraine a le plus besoin.
Au-delà de l’OTAN, y a-t-il aussi une nécessité stratégique à développer la coopération avec l’Union européenne en matière de défense et de sécurité?
Je pense que oui. L’UE n’offre néanmoins pas les mêmes possibilités de participation que l’OTAN pour les Etats tiers comme nous. Mais nous suivons la situation de près, l’European Defence Agency notamment, et cherchons à rejoindre des projets susceptibles de nous apporter de la valeur ajoutée.
En parlant d’industrie de la défense, les entreprises suisses déplorent les réglementations. Elles craignent de perdre des clients. Le projet d’une commission parlementaire d’autoriser les réexportations d’armes suisses en Ukraine est-il le bienvenu?
Il est dans notre intérêt de maintenir les marchés d’exportation pour conserver une industrie d’armement compétitive. Au final, il y va de l’équipement de notre propre armée. En cela, lever nos restrictions montrerait à nos partenaires que nous ne proposons pas que des restrictions, mais aussi des possibilités.
Quel est le climat de discussion aujourd’hui avec les Etats occidentaux? Beaucoup étaient mécontents au début de la guerre en raison de nos refus de réexporter des armes suisses en Ukraine…
De nombreux pays comprennent notre histoire et nos conditions. La Suisse n’est pas la seule en Europe à n’avoir pas envoyé d’armes. Nous devons nous concentrer sur ce qui est dans le cadre de nos capacités: aide humanitaire, déminage et reconstruction de l’Ukraine, conférences internationales. Cela dit, les attentes pour la réexportation d’armes suisses ne disparaissent pas. On attend que la Suisse contribue à la sécurité européenne, et la question nous est posée régulièrement.
Votre secrétariat d’Etat a connu des débuts mouvementés. Son directeur nommé, Jean-Daniel Ruch, a été éjecté avant même d’entrer en fonction. Puis, le recrutement a duré avant que vous ne soyez désigné. Sentez-vous les séquelles de ces remous encore aujourd’hui?
Pour être honnête, je m’attendais à ressentir un peu d’insécurité dans nos équipes, mais cela n’a pas été le cas, car nous avons eu beaucoup de travail dès le début en janvier. Personne n’a eu le temps de s’arrêter sur ces événements. La politique de sécurité suscite actuellement un énorme intérêt. Depuis le début, le secrétariat d’Etat se trouve en intense interaction avec tous les acteurs politiques dans ce domaine.
Beaucoup doutent de l’utilité du Sepos, dont la mission semble se recouper avec celles des Relations internationales de la défense et de la division Sécurité internationale du Département fédéral des affaires étrangères…
Je vois un avantage à cette situation: nous devons tous collaborer, et jusqu’ici tout se passe très bien. La politique extérieure et la politique de sécurité vont de pair. Les enjeux géopolitiques et sécuritaires sont tellement complexes et volatils que nous devons travailler ensemble.
Vous avez trois divisions: concevoir la stratégie et la coopération en matière de sécurité, gérer la sécurité de l’information et effectuer les contrôles de sécurité de personnes. Cela semble très hétéroclite. Y a-t-il une cohérence?
Oui, bien sûr. La sécurité de l’information et la sécurité des personnes vont de pair. Les responsables doivent être conscients des risques sécuritaires liés à leur fonction. Les informations partagées par ces personnes doivent être sûres. A l’ère de l’information et de la numérisation, la sécurité de l’information revêt une importance stratégique et constitue une condition préalable à une politique de sécurité efficace. Si nous détectons des défis, nous pouvons alerter rapidement les politiques.

