Au cœur de Genève l'internationale qui souffre, dans un temps suspendu, un moment privilégié hors de la fureur du monde, j'ai le plaisir et l'honneur de partager avec vous cette soirée consacrée au cinéma suisse.

Je relève immédiatement le fait que d'accoler le nom d'un pays - fût-il le nôtre - à un art, n'a en réalité pas de sens.

Je devrais plus exactement dire cette soirée consacrée par la Suisse au cinéma.

L'art et les artistes n'appartiennent pas à un pays et le duo d'artistes honorés ce soir - franco-suisse de nationalités - en est la preuve magnifique.

Bulle Ogier, vous êtes née à Boulogne-Billancourt près de Paris et avez pour votre travail sans cesse passé les frontières.

Passé les frontières géographiques - souvent entre la France et la Suisse et passé les frontières entre le théâtre et le cinéma.

Et vous Barbet Schroeder, né à Téhéran vous avez fait votre scolarité à Paris et - tout comme Bulle Ogier - vous avez joué à saute-frontière pour votre travail entre la Suisse et la France en particulier, en y ajoutant le grand saut transatlantique vers Hollywood.

Vous avez, vous aussi, transcendé les frontières au sein du monde du cinéma en étant tantôt acteur, tantôt producteur, tantôt réalisateur.

La longévité de vos carrières force le respect. La fécondité de vos parcours artistiques émerveille, rassure. Vos vies professionnelles se sont croisées, décroisées, recroisées, et elles se sont enrichies du travail avec d'autres artistes.

Vous êtes tous deux des figures, des visages emblématiques de la Nouvelle vague et plus largement du Septième art toutes époques confondues.

Vos vies professionnelles et personnelles sont à ce point entremêlées qu'il n'était pas possible d'honorer l'un sans honorer l'autre, a estimé le jury. C'est donc le duo d'artistes que vous formez qu'il a choisi de célébrer.

Ce prix couronne l'ensemble de votre travail remarquable ainsi que votre influence pionnière sur le cinéma international. Si nous étions dans la tradition japonaise vous seriez déclarés Trésors nationaux vivants.

Cela dit, ce qui me frappe aujourd'hui, c'est que vous êtes nés tous deux dans des temps de fureur et d'effroi - ceux de la Deuxième guerre mondiale - et que vous recevez ce prix dans une époque qui par de nombreux aspects pourrait y ressembler.

Cette réflexion qui pourrait sembler ne pas être au diapason d'un soir de fête, n'a rien de dissonant et me permet au contraire de souligner ô combien le travail des artistes est indispensable, vital.

L'artiste est parfois un sismographe qui ressent avant les autres les secousses telluriques ou plutôt les secousses politiques même les plus infimes, annonciatrices de changements ou de catastrophes à venir.

L'artiste est aussi sentinelle, aux avant-postes des courants qui traversent la société. Son talent, on pourrait même oser dire son devoir, est alors d'alerter par son travail.

Cette prescience est tant un bienfait qu'une source de difficulté. En effet, en temps de crise majeure l'art et la culture, et donc les artistes, sont stigmatisés, dénigrés, censurés, emprisonnés.

A cet égard, je n'ai pas de mots assez forts et assez fermes pour dire ce que m'inspire le fait qu'un grand pays dont je tairai le nom vient de publier la liste de 4'000 titres de livres désormais censurés dans les cursus scolaires et les bibliothèques publiques.

Que vous arriverait-il, chère Bulle Ogier, si aujourd'hui vous signiez à nouveau le Manifeste des 343 femmes ayant vécu un avortement ? On pourrait craindre le pire.

J'ajoute que vous avez eu ce courage immense, l'année d'un film si important pour vous et pour le cinéma, je veux parler de La Salamandre du cinéaste Alain Tanner.

Chère Bulle Ogier, cher Barbet Schroeder, votre univers artistique commun est celui de l'intime, de l'exploration de l'âme humaine, de réflexions profondes sur notre humanité ou notre inhumanité si je pense, Barbet Schroeder, à vos trois documentaires consacrés à des personnages extrêmes - je cite en particulier L'Avocat de la terreur.

Ihre Filmografien sind Ausdruck Ihres poetischen Anspruchs und Feingefühls. Auch Ihre gemeinsamen Filme sind eine Bereicherung. Sie stiften Hoffnung, lassen uns staunen und schenken Freude.

Mit vereinter Kraft öffnen sie uns die Augen und ermöglichen neue Sichtweisen. Sie zeugen von gelebter Solidarität.

Sie werden mir zustimmen, wenn ich sage: Wer zeigt besser als Bulle Ogier und Barbet Schroeder, wie wichtig und notwendig Kunst ist?

Es ist die Aufgabe und Ehre des Staats, die Freiheit der Kunst sicherzustellen, mehr noch, die Freiheit und körperliche Unversehrtheit der Künstlerinnen und Künstler.

Und es ist dem Staat Freude und Ehre, herausragende Künstlerinnen und Künstler auszeichnen zu können - wie wir es heute Abend mit grossem Vergnügen tun.

Mes plus vives félicitations à Bulle Ogier et à Barbet Schroeder Prix d'honneur 2025 du cinéma !

Ce prix demeure modeste en regard de l'immensité de vos apports à la culture cinématographique mais il est assurément donné avec reconnaissance et avec le cœur.

Je vous remercie pour votre attention.

Prix du cinéma suisse